Aujourd’hui, l’heure est sombre. En effet, pour la seconde fois de l’année, pour la 5ème fois en 3 ans et la 4ème fois à domicile, les Phénix de Limoges voient leurs adversaires déclarer forfait. Après les Lynx d’Auxerre en 2022/2023, les Atlantes de Biarritz par deux fois en 2023/2024, ce sont tour à tour les Dragons de Poitiers il y a deux semaines et les Devils de Cenon en ce 1er mars (match prévu le 08/03) qui rendent les armes avant même voir d’avoir joué le match. Peur sur la ville ? Refus catégorique de développer une quelconque forme de tourisme dans la capitale de la porcelaine ? Influence d’un joueur ? Problème venu d’au-dessus ? Il est maintenant temps de comprendre pourquoi. Un reportage de Pierre Audousset pour 10 minutes Enquête.
Ecartons d’entrée les hypothèses les plus folles. Non, les Phénix de Limoges et leur fameuse Annexe 6 ne font pas peur. Alors il est vrai que le terrain est inquiétant. Non pas par ses tribunes populaires furieuses et l’ambiance folle qui y règne, mais bel et bien par son état. Le manque d’herbe est en effet sa principale caractéristique. Il est vrai que le partage avec le club de Monster Truck de la ville ainsi que par les amoureux de reconstitution des batailles de tranchées de la 1ère GM n’aide pas. Mais malgré ça, les Phénix ont du mal à y régner. Le bilan ? 6 matchs joués, 6 défaites. Manuel Valls aux élections. Ce n’est donc pas le problème.
Enlevons aussi l’hypothèse du tourisme. Certes Limoges c’est loin, mais qui ne rêverait pas de se balader dans les rues de la luxuriante capitale de la porcelaine française ? N’ayant aucune contestation à ce sujet,il est facile d’estimer que j’ai : raison.
Le dernier point le plus tendancieux, c’est l’influence d’un joueur. En effet, auréolé d’un titre dans la feu Division Régionale en juin 2022, les Phénix de Limoges voient une chance de monter en D3. Avec un projet sportif intéressant, la vieille garde voit le retour d’un des siens, dont nous ne donnerons que les initiales ici, afin de ne pas créer de harcèlement envers lui : M.D. Le garçon est un guerrier émérite, qui a participé à 3 des 4 titres régionaux des Phénix. Après une pause, il ramène sa fougue et son intensité, voyant les vieux l’accueillir avec le sourire Mais depuis son retour, force est de constater que les Phénix semblent maudits. En effet, 1 seule victoire depuis le retour de celui qui a joué OL/TE et DL cette année. Enfin 1 seule victoire… Quand il est sur le terrain. Car blessé ces derniers temps, les Phénix l’ont emporté 2 fois en son absence, en deux matchs. Et chaque match « prenable » que les Phénix sont sensés jouer se solde par un forfait de leurs adversaires quand il est présent. Malédiction vaudou ? Mauvais sort ? Simple coïncidence ? La question se pose mais la réponse ne semble pas là.
Alors à qui peut on imputer cette néfaste série qui fait que les Phénix semblent condamner à disputer des saisons tronquées ? La malchance ? Pas que. L’heure est au bilan.
Car le problème des Phénix n’est pas que le leur. En effet, nombre de forfaits ont été déclaré ces dernières années dans les différentes divisions régionales mais aussi nationale (Pour les suiveurs du foot US français,peu de monde oublie notamment l’histoire des Pionniers de Tours, demi-finaliste du championnat de France à forfait l’année suivante).
Alors comment un sport qui semble se développer petit à petit en France, notamment grâce à la diffusion de plus en plus facile d’accès de sa vitrine principale, la NFL et de l’engouement autour de la franchise ELF des Musketeers de Paris,peut être dans un état aussi désastreux au niveau local ?
La réponse vient d’une analyse qui m’est purement personnelle mais après 11 ans de pratique de foot US, et une connaissance de la vie associative longue comme mon bras (et j’ai le bras long), le bilan que je fais de la situation est indéniable : on a voulu décorer la maison avant d’en poser les fondations.
Avec pour principal responsable, le propriétaire de cette même maison, j’appelle à la barre l’accusée principale : la Fédération Française de Football Américain.
Alors déjà,debunkons le principal : non, elle n’est pas responsable de tout et oui, les clubs ont une part de responsabilité. Maintenant, peut-on reprocher à certains enfants de faire n’importe quoi quand les parents sont eux même complétement à côté de la plaque et n’ont d’yeux que pour certain ? Question sociale à laquelle je vous laisse le choix de répondre.
Alors que peut-on reprocher à notre chère fédération ?
Pour commencer et le point principal, un désintérêt pour sa base. En effet, hormis les 10 clubs de l’élite et les 18 clubs de D2, il existe d’autres clubs de foot US en France et la fédération semble ne pas en avoir grand-chose à faire. Déjà, première étape, la fin de la division régionale. Sur le papier, une idée afin de créer une troisième division avec des clubs plus proches les uns des autres, dans la réalité, une subtile manière de se débarrasser d’une division et de la traite de clubs sportivement cohérent mais structurellement en construction. On prend donc tous les « projets solides » (On y reviendra un peu plus tard), dont on va s’occuper et on laisse les autres aux ligues.
Et on prend les décisions bancales qui vont avec. Pour commencer, une reprise du championnat en novembre. Alors bien sur et je suis le premier à le reconnaitre, cela peut-être une bonne idée. Même si je comprends les doutes qu’ont formulé certains de mes collègues : peu de temps pour former les nouveaux joueurs et les personnels (arbitres et coachs). Je vous vois venir « Oui mais les clubs peuvent anticiper Pierre ! » Oui bien évidemment. Encore aurait-il fallu pouvoir le faire. En étant prévenu officiellement fin juillet, compliqué d’anticiper quoi que ce soit. D’ailleurs, on a tellement bien anticipé à la fédé et discuté avec ces fameux clubs de D3 qu’on communique le 1er aout 2024 une première ébauche de poules pour la D3, sur la page Instagram Officielle. S’ils font ça, c’est surement que tout est prêt ! Eh bien entre les poules affichées le 1er aout et la réalité du championnat qui commencera le 18 novembre, une grosse dizaines de changements. Des clubs changent de poules, certains de conférences, certains apparaissent, d’autres disparaissent. Dans le plus grand silence des acteurs principaux, habitués à être la 5ème roue du carrosse.
https://www.instagram.com/p/C-ItrinM1aZ/?img_index=3
https://fandefootus.fr/france/d3/classements
Le lien du post Insta en question et du championnat final. Je vous laisse faire le jeu des 12 différences.
Et de ce désintérêt total découle une incompréhension des petits clubs et de leur fonctionnement. Pourtant, certaines choses auraient pu mettre la puce à l’oreille de nos dirigeants. La multiplication des forfaits notamment, souvent pour des causes d’effectifs un peu court (typiquement le forfait général des Atlantes de Biarritz est dû au manque d’un joueur sur la FDM). « Oui mais c’est pareil dans tous les sports ». Oui alors tous les sports ne demandent pas le double d’effectif pour pouvoir évoluer. En effet, les contraintes de feuille de match sont les suivantes : 20(22 l’an dernier) pour jouer à 11 vs 11 et 16(18 l’an dernier) pour jouer à 9 vs 9. Pour info, au rugby, sport auquel nous sommes régulièrement comparés (et non, nous ne jouons toujours pas au rugby américain), il faut 16 personnes pour jouer à 15. Alors sans être là, car on n’oublie pas qu’il faut quand même apprendre à jouer en attaque et en défense pour doubler le poste au foot US, réduire légèrement la feuille de match ne me semble pourtant pas une idée si compliquée que ça à avoir. Mais non. Le premier argument avancé, c’est la sécurité des joueurs. Cela peut s’entendre, mais j’ai quand même personnellement du mal à concevoir que le rugby y arrive et pas le football américain. Est-ce que cela accoucherait sur des matchs déséquilibrés, avec des équipes à 30 et d’autres à 13 ? Surement. Mais c’est le sort de pas mal d’équipes dans pas mal de sport. L’autre argument qui m’a été donné, par un membre de la fédération présent à l’AG,enfin de passage,de la ligue Nouvelle Aquitaine : Il faut apprendre à nos membres que la pratique ne passe pas que par la compétition. Regardez, au cheerleading, ils ont deux compétitions dans l’année et ils arrivent à s’en contenter. On m’a clairement empêché de le fusiller sur place ce soir-là, mais la comparaison me parait incongrue, pour ne pas dire : totalement con. Car si j’ai le plus grand respect pour les pratiquants de cheerleading, même si le jour où on me verra pratiquer la discipline n’est pas encore arrivé (je porte très mal le juste au-corps et une ancienne collègue de colo qui a essayé de me faire faire des exercices de souplesse dans les couloirs sombres d’un centre pourra vous confirmer que j’ai la souplesse : d’un tronc d’arbre) , et que nous sommes deux disciplines sous le pavillon de la FFFA, prendre en exemple les deux disciplines est un non-sens. D’un côté, une discipline d’affrontement, dont les concurrents sont le rugby, le handball, le football ou le basket. De l’autre, une discipline beaucoup plus axée artistiques, dont les concurrents principaux vont être la danse et la gymnastique. Je ne vais pas sortir le tableau comparatif, mais je pense qu’il est facilement compréhensible que nos adhérents préfèrent partir dans d’autres clubs sportifs parce que tout simplement : ils jouent.
Et résultat, nous sommes confrontés au problème suivant. Des quotas d’effectifs trop haut entrainent des forfaits. Les clubs se retrouvent à jouer 4 matchs dans l’année, voir pire, à être Forfait Général. Les joueurs sont déçus de ne jouer que 4 matchs ou d’être forfait généraux, et donc ne veulent pas dépenser 150 euros dans une licence pour si peu de matchs. Ils ne renouvellent pas les années suivantes et les effectifs diminuent. Le serpent se mord la queue. Mais voilà, le problème c’est que la fédération n’a toujours qu’un intérêt que peu important pour ses petits clubs (et ce n’est pas la publication des résultats et de quelques photos sur les réseaux pour chaque journée qui vont nous faire passer la pilule, on n’est pas des pigeons non plus). Et que résultats, certains fuient en UFOLEP où les règles sont beaucoup moins strictes,permettant un développement plus adaptatif.
Mais on pourrait se dire que le futur peut se construire et qu’un club peut compter sur sa jeunesse pour se renforcer. On ne va pas se mentir, la passion se développe jeune et on accepte sans doute plus de choses quand on baigne dans le sport depuis gamin.
Mais même sur le sujet, la politique est bancale. Les deux Pôles ont pillé les petits clubs de leurs meilleurs espoirs. Y a-t-il une quelconque démarche où les clubs sont associés au recrutement des jeunes, au suivi ? Non. Les gamins vont passer un test, les mails leur sont directement envoyés. Gestion catastrophique, qui fait que les clubs galèrent à garder leurs jeunes et à renouveler les effectifs. Le but de ces pôles ? Faire des jeunes des joueurs d’élite et fournir les CEGEP Canadien, les effectifs de D1/ haut de D2 ou bien les autres sports. Car oui, les gamins reviennent pour certains sans l’envie de continuer, ayant touché du doigt un rêve qu’on leur a vendu (Oui, on ne va pas se mentir, partir au Pole à un cout), et retouchant violemment la terre ferme. Avec un suivi scolaire que je qualifierai d’approximatif pour ce que j’en ai vu. Mais ces Pôles ferment. Parce qu’au fond,les résultats ne sont pas vraiment là,en tout cas pas assez probant pour garder le statut pro. Exit les rêves des jeunes. L’occasion pour la fédé de travailler avec les petits clubs ? Et bien non, un mail a été envoyé, les jeunes du Pôle iront « renforcer les effectifs de D1 » qui sont invités à présenter des projets clubs aux jeunes du Pôle. On a donc fourni le public, mais on continue à nous cracher à la figure.
El famoso Mail
Mais il est vrai que le secteur jeune va tellement bien ces dernières années, à tous les niveaux. La preuve ? Le championnat national U20 à 11, qui compte 6 participants dont les deux Pôles qui ne peuvent ni s’affronter, ni jouer les playoffs et donc le titre. Le sketch continue, le navire coule, mais tant que l’orchestre joue toujours, pourquoi se plaindre ?
Il convient à force de se demander quel est intérêt pour les petits clubs de rester dans le giron fédéral. Pour quoi faire ? Continuer à engraisser la D1, nous pauvres gueux et continuer à considérer que nous sommes des adhérents de seconde zone, de ceux dont on s’en fout et qui paierons bien leurs licences de toute façon.
La fédération n’a de toute façon que faire du foot américain,encore plus de la pratique des gens dont on ne note pas les stats. Le flag,sport olympique, va prendre gentiment la place et il ne faut garder que la vitrine comme point d’intérêt. Les Musketeers pour faire joli, la D1 et la D2 à la limite (quoi que le traitement des Corsaires d’Evry dans leur histoire avec les Kangourous de Pessac me laisse penser que même en D2, on n’est pas grand-chose). On construit gentiment une maison en commençant par la déco sans s’occuper de la solidité des fondations. Il ne faudra donc pas s’étonner le jour où celle-ci va s’écrouler.
Pierre Audousset